Responsables
Franck Varenne
Contenu
« Philosophie des sciences : apports et limites de la mathématisation »
Une grande partie du succès des sciences repose sur leur usage accru des mathématiques. Mais que signifie cette mathématisation ? Peut-on et doit-on mathématiser les phénomènes humains comme on mathématise les phénomènes physiques ? Représenter un phénomène sous forme mathématique possède certes un grand nombre d’avantages qui sont activement recherchés dans les sciences : précision de la description des faits et de leurs relations, prise en compte simultanée d’un grand nombre de données, levée de l’ambiguïté qui réside dans toute formulation en langage ordinaire, traduction d’un lien de causalité en une relation formelle de déduction stricte, inventivité théorique accrue doublée d’une capacité accrue à percevoir de nouvelles analogies et à former de nouvelles synthèses explicatives, etc. Mais les conditions pour que les phénomènes étudiés soient mathématisables ne sont pas toujours réunies. Quelles sont ces conditions ? Quels types de phénomènes peuvent les réunir et pour quelles raisons ? Par ailleurs, quelles sont les limites d’une telle mathématisation ? Ce cours mènera l’enquête en comparant des tentatives de mathématisation dans deux domaines scientifiques bien différents : la physique et la géographie humaine.
Dans une première partie, nous rappellerons les conditions ainsi que les décisions épistémologiques qui ont permis à Galilée, contre les usages hérités en partie d’Aristote, de procéder à sa célèbre mathématisation du phénomène de la chute des corps. On le sait : avec cette tentative réussie, Galilée nous fait pleinement entrer dans la science moderne. Dans une seconde partie, nous rendrons compte de lois mathématiques moins connues mais bien vérifiées aussi par les données et qui concernent la taille, la localisation relative et la croissance des villes. Par exemple, la loi dite « rangtaille » - qui représente le rang des villes en fonction de leur taille - possède une remarquable stabilité y compris à travers des siècles d’existence des villes sur la terre.
Mais ces lois de géographie humaine, domaine propre des sciences sociales, ont un statut toujours contesté : sont-elles des théories qui expliquent ou bien des lois purement empiriques qu’il faut expliquer au moyen de théories plus fondamentales ? Et ces théories plus fondamentales, que disentelles de l’humain et du social : doivent-elles être issues plutôt de l’économie ou de la géographie, de labiologie ou encore de la psychologie ? Ainsi, même si la mathématisation se révèle possible en sciences humaines, nous permet-elle pour autant de nous accorder sur sa signification, sur ses causes et sur le caractère universel ou non de sa validité ?
Bibliographie
Philosophie, philosophie des sciences
Platon : Timée, Critias, trad. L. Brisson, GF.
Aristote : Physique, Traité du Ciel, Les Politiques, trad. Pellegrin, GF.
Clavelin, M. : La philosophie naturelle de Galilée, Paris, Albin Michel, 1996 (1ère édition : 1968).
Thuillier, P. : « Galilée et l’expérimentation », La Recherche en histoire des sciences, Paris, Points-Seuil, 1983, pp. 113-148.
Stengers, I. : « Les affaires Galilée », Éléments d’histoire des sciences, M. Serres (dir.), Paris, Larousse, 1997 [1989], pp. 337-374.
Blay, M. : Les raisons de l’infini : Du monde clos à l’univers mathématique, Paris, Gallimard, 1993.
Rossi, P. : Aux origines de la science moderne, Paris, Points-Seuil, 1999.
Barberousse, A., Kistler, M., Ludwig, P. : La philosophie des sciences au XXe siècle, Paris, Champs- Flammarion, 2000, pp. 81-124.
Lecourt, D. : La philosophie des sciences, Paris, PUF, QSJ, 2001.
La chute des corps
Galilée, G. : Discours et démonstrations mathématiques concernant deux sciences nouvelles, trad. M. Clavelin, Paris, PUF, 1995, (1ère édition : 1970).
Signore, R. : L’histoire de la chute des corps, Paris, Vuibert, 2008.
Les lois de croissance et de localisation des villes :
Berry, B.J. : Géographie des marchés et du commerce de détail, Paris, Armand Colin, 1971 (1ère édition : 1967).
Claval, P. : La nouvelle géographie, Paris, PUF, 1982 (1ère édition : 1977).
Lösch, A. : The Economics of Location, Yale University Press, 1954 (1ère édition: 1940).
Sanders, L. : « Géographie quantitative et analyse spatiale : quelles formes de scientificités ? », in T. Martin (dir.), Les sciences humaines sont-elles des sciences ?, Paris, Vuibert, 2011, pp. 71-91.
Varenne, F. : Théories et modèles en sciences humaines - Le cas de la géographie, Paris, Éditions Matériologiques, 2017.